Que direz vous quand vous viendrez à lire
L’œuvre Francois de celuy, qui escrire,
Selon raison, et vostre jugement,
Pour s’acquitter, debvoit tout aultrement ?
(Ò
Monseigneur, et treshonnoré Pere)
Que direz-vous ? que l’on m’en vitupere ?
Vituperer m’en pourra qui vouldra,
Mais en celà vituperant, fauldra,
Si ce n’est point un œuvre tant insigne,
Qu’il soit de vous, et des Doctes Gents digne :
Je n’en fays pas aussi profession,
Velà où est mon excusation.
J’espere en bref de donner à cognoistre,
Que mon Esprit, veult plus haultement croistre.
Que mon Espriit, tant sterile n’est point,
Qu’il n’ayt pouvoir traicter plus ardu poinct.
Si demandes, pourquoy doncques ma Muse,
(Veu que puis plus) à ces Fatras m’amuse,
Et que soubdain je ne mets en avant,
Œuvre sentant homme qui soit sçavant :
Homme sçavant estre dire ne m’ose,
Mais mon Esprit sur les lettres repose,
Sa vie est là, là est tout son soulas,
D’y travailler ne sera jamais las.
Et travaillant le jour et nuict, il traicte
Invention des Sciences extraicte.
Avec le temps (sans de rien se jacter)
On verra bien celà qu’il scait traicter.
Est il aulcun de labeur tant prodigue,
Qui travaillant, n’ayt aulcune fatigue ?
Est il aulcun, qui puisse incessamment,
Le jour et nuict avoir empeschement,
Sans quelque foy recreation prendre ?
Impossible est qu’on me donne à entendre,
Qu’un Arc, s’il n’est quelque foy destendu,
Guarde sa force estant tousjours tendu .
Doncques où est l’homme si tresterrible,
Lequel estime un cas reprehensible,
Apres avoir travaillé bien long temps,
De prendre esbat, et joyeux passetemps ?
Quant est de moy, où les aultres s’addonnent
À voluptés, et du bon temps se donnent,
À jeux, à rys, à gaudir et dancer :
Si je me veulx aultrement advancer,
Pour mon esbat, composer quelque rythme,
Le me peut on en rien tourner à crime ?
Veu mesmement, que cest Oysifveté,
Est pour fuir toute Lasciveté.
Et oultre plus, qu’est ce qui me soublieve,
L’adversité, que je porte si griefve,
Allant ainsi par pays tant divers :
Que le plaisir que me donnent mes Vers ?
Si le dur Sort au penser me desole,
Soubdainement ma Muse me console,
A mon Esprit donnant tant de plaisir,
Qu’elle met hors soubdain tout desplaisir.
En escrivant mes Fortunes si amples,
Et m’admenant tant de divers exemples
Des escripts saincts, et prophanes aussi,
D’aultres plusieurs qui ont souffert ainsi :
Et en souffrant en grande pacience,
Ont surmonté par nette conscience :
En escripvant (dy je) le cas pareil,
Qu’un chascun peut assés juger par œil :
Ou en mes maulx j’avois ardent couraige,
Par mes escripts il me croist davantaige :
Tant que suis prest, non seulement souffrir
Le mal present, mais à d’aultres m’offrir.
Velà (
Monsieur) le proffit de ma plume,
Lequel à tous n’advient pas de coustume,
Et d’aultant donc qu’il advient rarement,
Tant plus aussi je le tiens cherement.
Cecy vous doibt à jouissance induire,
Veoyant en moy, un malheur, heur produire,
Veoyant en moy, par un mesme moyen,
D’un triste mal, yssir un joyeux bien.
Est il donc Sort, qui ayt ceste puissance,
De vous tollir vostre resjouissance ?
Et un tel dueil au cueur enraciner,
Que ne puissiés de vous mediciner ?
Si vous veoyez aultruy en tel affaire,
Vous luy direz assez, ce qu’il doibt faire,
Car je suis seur, que tant a de pouvoir
Conjoincte en vous Grace, avec grand Sçavoir :
Que ne peut estre aupres de vous personne,
Malade ou sain, qui d’aulcun cas s’estonne.
Si à aultruy sçavez prester la Main,
Quoy ? serez vous contre vous inhumain ?
Inhumain (dy je) en vivant en tristesse,
Qui vostre corps consume de detresse :
Et où pourriez plus longuement durer,
Vos tristes ans (sans propos) maturer.
L’affliction ne domine tout oultre,
Il n’y a rien qui bien ne se racoustre :
Car je vous fays moymesme le rapport,
Que nostre Nef est venue à bon Port.
Parquoy (
Monsieur) en guardant vostre estime,
Je vous supply monstrez vous magnanime,
A supporter l’adversité, d’aultant,
Qu’avez tousjours esté jugé constant,
En tous vos faictz, ainsi qu’un homme saige,
Qui en tous temps monstre mesme visaige.
Ce je n’escry d’une presumption,
Pour vous cuidder faire admonition :
Ayant besoing de vostre remonstrance.
Vostre humble Filx plus tost je me monstre en ce,
Me soubmettant au paternel debvoir :
N’ayant aussi rien plus cher, que vous veoir
Environné de vostre grand’ famille :
Vivre en santé et joye, des ans mille,
Avec le cours que mon Esprit conceoit,
Je pry JESUS (
Monseigneur) qu’ainsi soit.